Cahier de mes chemins du développement rural (1)

diopadou
3 min readJun 20, 2023

J’ai revu Mor. Nous avons sympathisé. Mor et moi, nous sommes connus 10 ans avant. Leur foyer était le nôtre pendant près d’un mois. Nous avions passé notre premier stage en milieu rural dans sa maison. Keur Massamba a bien changé. Électrification, eau, de nouveaux foyers, de nouvelles maisons. Des départs. Des décès. Le décès du patriarche, chef de village d’antan, qui nous avait si bien accueillis. Nous y avions trouvé un beau cocon. Une famille si bien accueillante. De la bienveillance brute, de la bienveillance sans forcer. Dans chaque geste. J’avais aimé mon séjour dans ce village. Ce n’était pas finalement un séjour, mais une expérience de vie. Communier avec les jeunes, découvrir la vie rurale, redécouvrir la vie tout simplement. Découvrir de nouvelles vocations surtout. Surtout la vocation d’un agronome. C’est dans ce village que j’ai trouvé ma vocation d’agronome. Voir ce à quoi ma vocation me prédestinait.

10 ans après, les terres des Gueye ont été vendues. Mor était pourtant né dans l’agriculture. Ou l’agriculture était née entre ses mains. Héritage que se sont passés plusieurs générations. Il aura fallu la génération de Mor pour le rompre. Il était devenu gérant d’une quincaillerie. La culture du manioc ne donnait plus. C’était aussi erratique que les dernières saisons des pluies. C’était parfois bon. Parfois sans. Parfois sans récolte. Il fallait compléter avec les revenus du grand frère. Parti à Dakar pour être chauffeur. L’agriculture ne donnait plus. Mor s’était donc installé à Thiès. Il avait ouvert une quincaillerie dans le quartier de Grand Standing. Pas loin du Stade Lat Dior. Thiès était devenu ces dernières années un chantier ouvert. Plein de jeunes cadres y voyaient une ville pour échapper à ce que Dakar était devenu. Les constructions des maisons, les nouvelles cités, avaient créé un marché pour les métiers liés à la construction. Les gérants de quincaillerie aussi, y trouvaient leur compte. Tout comme Mor.

Dakar était aussi en chantier. Des routes, des embouteillages partout dans la ville. Des voitures, des voitures et encore des voitures. On pouvait perdre deux heures de temps dans les embouteillages à Dakar.

J’avais tout de suite reconnu Mor. Ou du moins ce sourire volubile qu’on lui reconnaissait. Ce sourire si rassurant qu’il avait bien gardé. C’est ce sourire qui m’avait accueilli à Keur Massamba. Quand le citadin que j’étais, balbutiant dans sa tête plusieurs idées de carrière, débarquait à Keur Massamba. Mor avait donc gardé ce sourire. Il ne m’avait pas reconnu tout de suite, à cause de la barbe, les lunettes aussi.

Vieux Madiop n’avait jamais voulu vendre ses terres, malgré de nombreuses propositions. Ce n’était pas que la terre. Ou des hectares. C’était son leg. C’était sa culture, son patrimoine. Le savoir qu’on se transmettait d’une génération à une autre. Ce leg qu’il a reçu, lui-même, de son père. Et qu’il souhaitait aussi transmettre à ses enfants, et même petits enfants. C’était sa présence au monde, lorsqu’il ne sera plus parmi nous.

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